Plasmas est un recueil de nouvelles singulier et plein d’intelligence. Le fil rouge qui réunit l’ensemble des textes est qu’ils concernent, du moins on peut le supposer, un monde futur, où d’importants bouleversements ont eu lieu. Ce qui est remarquable, c’est à la fois l’inévidence de l’objet – plus d’une fois, on se surprend à se demander de quoi il peut bien s’agir. « Ils ». Mais qui sont-ils, « ils » ? Texte En l’air – et la très grande précision analytique des situations, des êtres, et de leur environnement. La phrase à tiroirs est maîtrisée, jamais gratuite. Par ses sujets et par son style, c’est une expérience sensorielle étonnante que propose Céline Minard. Le texte Grands singes a quelque chose de simplement génial de ce point de vue. Il y est question de territoire sonore, de flux, de variations. La narration est décentrée, l’humaine est ici celle que l’on observe, à travers, disons, la phénoménologie des singes, en train de rechercher le contact des primates. Le recueil franchit les frontières, le vivant n’est pas quelque chose, c’est ce qui traverse les êtres, et se métamorphose, parfois naturellement, parfois aidé par l’expérimentation (on pense au texte Grands chiens). La nouvelle Casino baldo quant à elle construit une rêverie sur le temps, la mémoire, en tissant des liens entre le corps, les rituels quotidiens, les souvenirs. Enfin, soulignons la grammaire philosophique qui hante une bonne partie de ces excellentes pages. Dans Les ricochets, il est difficile de ne pas penser à la distinction toute pascalienne entre intuition et raison, entre la saisie de l’instant, et la maîtrise technique et scientifique. Distinction qui concerne ici l’art du lancé de galet… Le concret, le mouvement, la vie encore. Disons-le pour conclure : le T.O.R valide ! C’est un très bon livre que voilà, exigeant et poétique.
Publié par Payot et Rivages (2021)
Stéphane Croenne
Extrait :
« La première fois que le guetteur avait croisé son regard, la première fois qu’un jeune avait tendu le bras pour l’effleurer du dos de la main, la première fois qu’Adda lui avait intimé et permis une séance de toilettage et qu’elle avait, elle, touché sa peau sous les poils, la sensation avait été la même, elle l’avait reconnue, sortie de la nuit des temps, intacte et familière au point d’en être bouleversante. C’était le caractère propre de l’archaïsme, ce retour fulgurant de l’évidence, doublé du pressentiment de la perte, de la nette intuition que, de cela, elle ne serait jamais repue ni sevrée.
C’est peut-être au fond exactement ce qu’elle était venue chercher. Plus que la science de la vie dont ils faisaient preuve depuis si longtemps, plus que le secret de leur résistance – qu’une poignée d’humains avaient malgré tout reconnu et conforté –, plus que leur imprévisible faculté d’adaptation lente, faussement passive, plus que leur fatalisme. Leur simple contact. »
