nuit de cendres

Nuit de cendres, tome I du cycle Le soleil des hommes, est une épopée qui se déroule dans un univers que la lumière a déserté. Difficile d’ailleurs de situer l’espace-temps de ce récit : les références médiévales sont nombreuses (des troubadours, des malandrins, un monde organisé ou réorganisé en duchés…), mais références mêlées à des figures tirées du bestiaire fantastique ( les goules ), l’ensemble s’inscrivant clairement dans une veine d’heroïc fantasy. Voilà pour le cadre.

L’action : Akhyla et sa petite troupe de mercenaires doivent dérober un mystérieux objet, une sphère couleur bronze, dans la statue du dieu de Pranak. Celle-ci se trouve dans une auberge aux abords poisseux, bondée de Multins, de monstres et de soudards. Dans cet univers assez glauque, il pleut, beaucoup, ça pue jusqu’à la nausée, et ça cogne fort très vite.

Les Multins, dites-vous ? Les hommes sont pris en tenaille entre ces derniers qui viennent du nord, créatures difformes et peu commodes, ennemies des humains, et les morts-vivants, au sud. Le roman déroule avec vigueur cette équation de géographie survivaliste. Dans ce monde disloqué et éteint, les hordes et les espèces se croisent, cohabitent au gré des circonstances, et se font la guerre. On n’est parfois pas loin d’une ambiance far-west, avec bagarres au zinc revisitées. La noirceur du récit est relevée par les nombreux moments d’action purs et durs, et le style parfois parlé et direct de l’autrice, y compris hors-dialogue. Ce qui donne au texte sa tonalité assez singulière, toujours cohérente.

Un point important à noter : c’est un univers sombre, fuligineux, mais pas cynique. Tout s’est (presque) effondré, mais il subsiste encore quelques sentiments et valeurs en ce bas-monde. On n’ira pas jusqu’à parler d’un conte moral. Mais il y a toujours quelques points de lumière possible dans cette grande Nuit.

Un premier tome assez réussi et bien bouclé, édité par les soins des éditions Hydralune. Le second tome s’intitule Jusqu’au ciel. À suivre !

Stéphane Croenne

Extrait 1 :

« Gouuuule ! » se secoua Akhyla.

Il la repoussa d’un revers de bras et évita de justesse son compagnon en décomposition qui frôla sa jambe. Il se releva, non sans tituber, pour constater avec appréhension que les créatures l’encerclaient. Les gladiateurs avaient déserté la fosse, laissant la dizaine de morts-vivants en roue libre.

« Et j’arrive à point nommé… » pensa-t-il.

Il entendait leurs bruits hideux de déglutition sirupeuse et celui glaçant de leurs cartilages. Enfants, courtisanes, malandrins, marchands : quoi qu’ils eussent pu être dans le passé, ils étaient tous égaux dans leur non-mort. Ils dégageaient tous cette odeur immonde de chair pourrie gorgée d’eau et leurs haillons ne cachaient guère ce qui restait de leur anatomie dégoulinante. Il fallait qu’il s’échappe d’ici !

L’une des goules se précipita sur lui…

Extrait 2 :

Le coeur d’Akhyla s’était soulevé sous l’effet de la chaleur étouffante dès son entrée dans l’auberge de Tali, quelques heures plus tôt. Sous l’effet de l’odeur rance, aussi.

La fumée épaisse, provenant autant de l’aération des cuisines que du poêle massif, emplissait l’immense salle basse de plafond. De la nourriture et des boissons diverses encombraient les larges tables en bois disposées le long des murs et des détritus jonchaient le sol. Les discussions des clients, même celles des plus enivrés, peinaient à se faire audibles dans le brouhaha ambiant. Seuls perçaient le tintement des couverts et le bruit des portes précédant l’arrivée des plats. Beaucoup de monde s’amassait dans le modeste établissement et la place venait tant à manquer que l’on se bousculait sans vergogne.